Aliments fortifiants et alicaments- Les fruits secs dans la tradition maghrébine
C’était du temps où, en plus des activités qui pouvaient assurer la vie au quotidien, chacun s’occupait de son lopin de terre, quand il en avait un, pour la pratique d’une agriculture vivrière, particulièrement une arboriculture fruitière pour avoir une quantité appréciable de fruits secs devant répondre aux périodes de pénurie d’aliments
A l’époque, on vivait dans l’incertitude du lendemain. On ramassait jusqu’à la dernière amande ou noix ou figue même si celle-ci devait se trouver au fond d’un ravin. On remplissait des jarres de céréales, huile, figues sèches, dattes, noisettes, pour assurer l’alimentation de la famille.
La figue sèche, un don de Dieu pour une société totalement démunie
Nos ancêtres attachés à la culture du figuier étaient pauvres mais courageux grâce à leur foi religieuse. Croyants sans être fanatiques, ils s’adonnaient avec soin à la plantation, aux bouturages, à la greffe ainsi qu’à la diversification de cet arbre d’origine méditerranéenne.
Lorsqu’arrivait le moment des récoltes, tous les fruits qui n’étaient pas consommés frais, étaient étalés sur des claies en roseau pour être séchés puis ramassés et mis en réserve selon des techniques de conservation infaillibles. Tout le monde était mobilisé pour le ramassage.
Le figuier, comme l’olivier et le palmier, est béni, il est aussi éponyme d’une sourate coranique : «Par le figuier et l’olivier ! Par le Mont Sinaï ! Par cette cité où règne la sécurité» (sourate «Le figuier» v.1.2.3). En arabe, il est désigné sous le nom de kerma qui veut dire don du ciel ou bénédiction . Au Maghreb, il est considéré comme un privilège accordé par Dieu à ses créatures pour qu’elles puissent pourvoir à leur subsistance. Considérée comme une production fruitière principale parce qu’à la base de l’alimentation traditionnelle, la figue possède un grand nombre de variétés. Il y a d’abord le bakour, fruit précoce mais réfractaire au séchage et pas assez nutritif. Le doukkar, arbre sauvage qui produit des fruits non comestibles, mais qui peuvent servir en médecine traditionnelle.
Les fruits du doukkar interviennent aussi dans la fécondation des fruits comestibles des variétés : azar, taqorayt, adjendjar.
C’est une espèce monoïque dont l’inflorescence porte à sa partie inférieure les fleurs femelles et à sa partie supérieure les fleurs mâles. Le transport du pollen des mâles aux femelles est assuré par une mouche qui vit sur le figuier sauvage dont la présence est donc indispensable dans les vergers. IL arrive que des fellahs connaisseurs suspendent aux branches du figuier domestique des branches de caprifiguier ou figuier sauvage lorsque celui-ci n’existe pas dans les alentours immédiats, pour attirer ces mouches au rôle essentiel.
Les figues séchées pour lesquelles on se démène du mieux qu’on peut, sont considérées comme un aliment énergétique et consommées largement pour leurs propriétés pectorales et laxatives, à l’époque où partout ailleurs la malnutrition et la sous-alimentation faisaient des ravages considérables. Et toujours en Algérie, Maroc, Tunisie, le latex des feuilles caduques du figuier étaient utilisées pour cailler le lait. Les mêmes feuilles mises en réserve après séchage, sont particulièrement nourrissantes pour les bêtes. Il fut un temps aussi où les figues immangeables étaient transformées en alcool ou en eau de vie utilisée exclusivement comme désinfectant, en particulier pour la plaie ombilicale du nouveau-né.
Au Tafilelt (Maroc), on frotte les paupières avec la face rugueuse des feuilles dans le traitement du trachome et de diverses ophtalmies.
Et que d’histoires ont été colportées sur les figues. On nous en a rapporté une qui remonte au début du siècle. Il s’agit d’une émigré obligé d’aller travailler en France pour faire vivre sa famille et qui lui écrivait pour lui recommander de faire la provision de figues constituant un aliment complet avec l’huile d’olive.
Lorsqu’on avait un fellah pour l’entretien des champs, particulièrement des vergers, on lui donnait en guise de déjeuner deux poignées de figues et une quantité appréciable d’huile d’olive, pour donner énergie et force.
Le raisin, autre aliment irremplaçable
On a appelé verger dans la tradition maghrébine, une étendue de terre plantée de figuiers et de pieds de vigne. Cerisiers, noyers, amandiers, noisetiers n’ont été introduits qu’à raison de deux à trois arbres par variété, et en fonction de la superficie cultivable. On a toujours accordé la priorité au figuier et à la vigne pour les raisons déjà évoquées.
La vigne aimant l’humidité et le soleil ardent, tout nous porte à croire qu’elle n’a pas été importée, et que toute l’Afrique du Nord est son milieu naturel, il s’agit bien entendu de la région littorale.
Du raisin, les populations anciennes et depuis les origines, ont toujours su que le jus qu’elles en ont tiré est efficace contre la constipation chronique. Quant au raisin sec, qui est notre sujet du jour, il a toujours été considéré comme un aliment à haute énergie. C’est pourquoi il a toujours fait partie des provisions de nos aînés qui voyageaient beaucoup et le plus souvent à pied.
Le raisin sec a d’autres effets irremplaçables comme celui de donner de l’intelligence aux étudiants. Riche en diverses vitamines, on l’a consommé comme reconstituant, particulièrement pendant le mois de Ramadhan, à l’heure du s’hour, accompagné de couscous.
Depuis les temps les plus reculés, on a parlé de boissons fermentées obtenues à partir du raisin sec.
On les fabriquait avec des fruits secs broyés dans de l’eau avant de décanter ensuite le macérat obtenu. Ceci est relaté dans les ouvrages du géographe EI-idrissi.
D’autres auteurs signalent au 12e siècle, dans le Souss tunisien, la préparation d’une autre boisson fermentée dite Aneziz : du moût de raisin doux porté à ébullition jusqu’à réduction au tiers, puis abandonné à la fermentation. Et ne parlons pas de vin fabriqué à partir du raisin pour nous consacrer exclusivement au raisin sec. On aurait pu accorder une plus grande place à la fabrication du vinaigre, par nos vielles femmes, et ce, à partir du jus de raisin fermenté, car là n’est pas notre sujet.
Au 11e siècle, la production de raisin sec était assez florissante. A Sijilmassa, les historiens signalent la production locale d’une variété de raisins secs séchés à l’ombre et qu’on appelait dilli (ombragée). Du côté du littoral algérien et Tunisien on produisait du raisin sec en quantité suffisante.
Les régions montagneuses privilégiaient cette variété de fruits secs pour leur valeur nutritive. C’est pourquoi on cultivait la vigne dans toutes ses variétés. On a dénombré une dizaine de variétés de raisin dont les grappes étaient séchées à l’ombre pour être mieux conservées.
Un témoin dit avoir gardé de ses années de jeunesse des souvenirs précis et marqués par le séchage des grappes de raisin de toutes sortes. «Ma grand-mère chargée de l’entretien de la vigne et de la récolte du raisin nous ramenait», dit-il, «de grands paniers de grappes qu’elle attachait d’un bout à l’autre du toit de la maison et elle les laissait suspendues jusqu’à l’hiver.
On raconte que dans les montagnes du Maroc, les grappes sont lavées dans de l’eau mêlée de cendre de lentisque, passées à la vapeur, trempées dans de l’huile puis séchées au soleil.
Les raisins secs, particulièrement ceux provenant du raisin rouge, sont très riches en acides organiques et en sucres réducteurs.
Les autres fruits : noix, amandes, noisettes
Leurs culture est particulièrement limité dans la mesure où ils n’interviennent pas dans l’alimentation quotidienne. Ces fruits sont recommandés, malgré leur valeur nutritive , dans les cérémonies et les rites anciens. On ajoutait au trousseau de la nouvelle mariée, des paniers de cacahuètes, noix, amandes. Ces fruits secs servaient surtout à agrémenter les makroutes, beignets, emssemenes.
On les offrait aussi, accompagnés de dattes et d’œufs aux enfants qui accomplissaient leur premier jour de ramadhan.
Pourtant, le noyer que des superstitions déconseillent de cultiver pour diverses raisons, produit un fruit à haute énergie, reconstituant, aphrodisiaque, galactogène, et anti-poison, donc antidote.
Les noix entrent dans plusieurs recettes revigorantes à côté des figues sèches, des dattes, des jujubes, des pois chiches, des raisins secs et des amandes.
Au moment du sevrage, il y a des régions où on donne au bébé de l’huile de noix écrasées pour remplacer le lait. Il paraît aussi que les fleurs de noyer sont utilisées en décoction contre le diabète. Les amandes sont consommées aussi comme antidiabétique mélangés à de l’aloès et à des graines de lupin blanc : une cuillérée de poudre par jour avec de l’eau. Elles sont fortifiantes.
Les vertus nutritives et thérapeutiques des amandes sont connues depuis la nuit des temps. Les amandes sont utilisées comme ingrédients irremplaçables en pâtisserie. Ecrasées finement, qu’elles soient amères ou douces, elles sont appliquées sur le visage en masque contre les tâches de grossesse et les taches de rousseur.