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 LETTRES D'ESPOIR Tombe, tombe la pluie !

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tchi_
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tchi_


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Date d'inscription : 24/03/2006

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MessageSujet: LETTRES D'ESPOIR Tombe, tombe la pluie !   LETTRES D'ESPOIR Tombe, tombe la pluie ! EmptyJeu 11 Mai - 10:27

Omar l’Indochine lève la tête en maugréant : «Oui, il n’y a pas de doute : c’est la pluie.» Il ramasse une poignée de terre sableuse qu’il montre au vieux sage du douar :
«Ammi El Hadj, cette bonne vieille terre qui part en poussière, ce sol malade, vont enfin recevoir le médicament qui va les soigner ! L’eau du bon Dieu…»


El Hadj s’appuie longuement sur sa canne et ses yeux s’attardent sur un nuage de poussière soulevé au lointain par une voiture fonçant sur la piste. C’est certainement Khelil le clandestin au volant de sa 404 brinquebalante… Aussi loin que porte le regard, c’est la même étendue herbeuse et rectiligne, une mer verte ondulant sous les rafales du vent. Au fond, bien loin, les lignes abruptes des montagnes rocheuses de Kef Mkhiriga et Mesloula zigzaguent dans un ciel chargé de lourds et sombres nuages. La piste qui était roulante jusque-là, s’emballe à l’approche des ruines romaines que quelques touristes en mal d’exotisme viennent visiter de temps à autre. En attendant que le ministère du Tourisme daigne envoyer un guide qualifié, ils continueront à écouter les fadaises du gardien qui dit n’importe quoi à propos des Romains ! Son prédécesseur, conteur chevronné, savait nous retenir avec ses histoires abracadabrantes sur nos ancêtres ; des êtres hors du commun – des géants mesurant trois mètres, disait-il, très sérieux… Quelques gouttelettes de pluie ruissellent sur le parebrise de la vieille 404. La pluie, enfin ! Attendue depuis des semaines par les agriculteurs, elle semble finalement se décider à rendre visite à cette région céréalière qui en a tant besoin. Après une bonne pluviométrie en automne et au début de l’hiver, les choses se sont gâtées quelque peu, avant de devenir cruellement inquiétantes ! Au point où le spectre d’une nouvelle sécheresse n’est plus à écarter. Dans ces zones où les quantités de pluie sont souvent insuffisantes, la sécheresse n’est pas une inconnue. Trois années sur quatre, elle rend visite aux paysans qui essayent par tous les moyens de la repousser, utilisant pour cela tous les rites possibles et imaginables. Mais ils savent que si la pluie ne tombe pas en avril ou, au plus tard, début mai, c’est foutu. Et c’est reparti pour un autre cycle de la misère, une autre année noire faite de privations et de déprime. Rien qu’à voir les visages des passants dans les rues des villages, on devine si c’est une bonne ou mauvaise année. C’est que l’agriculture fait vivre, directement ou indirectement, tout le monde. De l’épicier au boucher, du menuisier au plombier. Les années de récolte abondante se reconnaissent non seulement par une bonne pluviosité, mais aussi par sa bonne répartition. Les moments où la terre a besoin d’eau sont connus par tous les habitants de ces zones qui se mettent alors à surveiller attentivement le ciel, comme si leur vie était suspendue à ces nuages insignifiants. Tous les sujets de discussion tournent autour de la pluie. On en parle dans les cafés, les réunions publiques et privées, les souks, les rencontres sportives et même chez les femmes au hammam. Ces dernières ont une attitude curieuse et tranchée par rapport à cette question. Si elles sont célibataires, elles souhaitent de tout leur cœur qu’il pleuve pour que la récolte soit bonne. Si elle est bonne, le fiancé se décidera enfin et l’on fera une grande fête. Pour les femmes mariées, et notamment pour les plus âgées, c’est un véritable dilemme. La bonne récolte et ses sous à gogo amélioreront l’ordinaire et permettront de finir la maison ou d’acheter quelques bijoux que l’on exhibera aux fêtes de l’été ; mais en même temps, ces pauvres épouses savent que c’est généralement en période d’opulence que les maris prennent une seconde femme ! Usées par les couches successives et les travaux domestiques, ratatinées par l’âge et les mauvaises conditions de vie, elles ressemblent à des épaves que les égoïstes de maris jettent à la première occasion pour garnir leurs lits de chair fraîche. Ainsi sont récompensées ces épouses et ces mères qui ont tant donné à leurs familles. J’en ai vu quelques-unes, bien pâles et à bout de souffle, abandonnées dans des chambres froides et tristes, au fond des cours livrées aux herbes folles. Elles n’ont plus personne pour les secourir ; personne pour leur parler, pour les écouter, pour les aider à survivre. Au bord de la famine, elles sont sujettes à des maux divers, parfois à des infections graves mais elles ne peuvent se soigner, faute de moyens. Quand elles trouvent de l’aide, elles finissent dans la salle impersonnelle et crasseuse d’un hôpital rural, espèce de gros mouroirs où l’indifférence le dispute à l’égoïsme. Alors, il faut comprendre la réaction de Barkahoum lorsqu’elle prie le ciel de chasser la pluie. Elle sait que son mari, un chaud lapin encore bien sur ses jambes, attend la moindre occasion pour ramener une jeune femme à la maison. C’est pourquoi elle n’aime pas la prière de l’Istiska ! Pourtant, sa voisine, qui vient souvent prendre le café de l’aprèsmidi chez elle, essaye de la raisonner. Se peut-il que l’on soit contre le bien collectif pour de si futiles raisons ?
«Futiles ? répond Barkahoum. Mais sais-tu ce que c’est que de recevoir une seconde femme à la maison. Une plus jeune, plus belle, en bonne santé qui aura tout l’amour de l’homme de ta vie. Une qui deviendra la véritable maîtresse de maison. Une qui prendra les commandes de ce navire que j’ai bâti de mes efforts et par mes sacrifices et que j’ai guidé à travers les mers houleuses et les récifs périlleux ? Et moi, que vais-je devenir ? Une épave totalement à la merci de l’autre ! Rester dans l’indignité ou partir et mourir à petit feu… Les enfants ? Qui va me secourir ? D’autres femmes m’ont pris mes deux garçons et je n’ai pas une seule fille… Ah, si j’avais une fille…»
Elle sombrait alors dans une profonde tristesse et ses yeux se remplissaient d’un chagrin aussi gros que les lourds nuages qui avancent maintenant vers le douar. Dehors, les hommes continuent de papoter en scrutant le ciel. Viendra, viendra pas ? Le vieux Hadj Slimane, en parfait connaisseur des choses du climat, avertit :
«Si cette grosse masse noirâtre qui vient du sud passe par la montagne, adieu la pluie ! Cela fait soixante-dix années que j’observe le mouvement des nuages ici. Pour qu’il pleuve, il faut que ça vienne de l’ouest ou alors que les vents dirigent les nuages vers nos terres ! »
Les plus jeunes se taisent. Peut-on parler devant Hadj la Science ? Mais tout le monde partage la même inquiétude. Si la pluie ne tombe pas cette semaine ou la suivante, c’est foutu. Autant arrêter de rêver à la bagnole neuve, au mariage de la petite ou au voyage en Tunisie. La voiture stationne. Les gosses accourent. Les vieux observent les gouttelettes sur le pare-brise. La Science demande au chauffeur :
«Par où es-tu passé ?»
Oui, c’est bien ça, il vient de la montagne. Là-bas, il pleut. Mais à quoi bon ? Les visages sont défaits. Encore une fausse alerte. Les touristes s’engouffrent dans un minicar qui démarre en trombes, soulevant un épais nuage de poussière. La poussière, rien que la poussière…
- Dans dix années, ça va être le Sahara !
- Y a-t-il une solution ? demande Omar l’Indochine
- Il n’y en a pas ! Ils ont massacré le climat et nous n’avons rien fait pour récupérer toutes ces eaux qui s’en vont bêtement à la mer…
L’appel du muezzin monte soudainement de la petite mosquée sans minaret. Vieux et jeunes quittent les lieux pour la prière d’el-Asr. Omar l’Indochine se retourne une dernière fois avant de s’engouffrer dans la salle de prière. La pluie, oui, c’est la pluie ! Une averse extraordinaire qui dégringole du ciel comme un immense et épais rideau ! Il pleut enfin ! Il dit n’importe quoi, la Science. La pluie va sauver le douar. Et il pourra enfin acheter cette Mazda qui le fait rêver. Et peut-être même demander la main de la jeune Toumia ! Barkahoum finira par comprendre…


P. S. : En principe, il ne reste que cinq «P. S.» à rédiger... Cinq modestes paragraphes pour redire notre admiration, notre soutien et notre reconnaissance au journaliste professionnel et à la meilleure plume d’Algérie séquestrée dans une cellule froide. En attendant, prions pour que tout se passe bien et que le célèbre prisonnier d’El Harrach retrouve sa liberté à la date prévue… Il a assez souffert comme ça. Lui, ses parents, son épouse — Fatiha Courage — et ses enfants. Tous ont besoin de souffler avant de retrouver une vie normale…
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