Le mariage est chose obligatoire pour le musulman sain d’esprit et pubère, c’est- à-dire doué d’intelligence complète et en état de se marier. La loi religieuse de l’Islam ordonne le mariage au fidèle et ce, jusqu’à interdire qu’un célibataire dirige la prière faite en commun. De ce point de vue, d’ailleurs, la coutume est d’accord avec la loi. Il en était ainsi parce que les musulmans craignaient que leurs enfants ne sombrent dans la débauche.
Pour ces raisons, les gens qui en avaient les moyens les mariaient à l’âge de la puberté, et ceci, même si le garçon n’avait pas encore une profession qui lui permettait d’assurer son entretien : c’était, alors, son père qui travaillait pour lui, sa femme et ses enfants. En Algérie, on mariait les garçons à seize ou dix-sept ans. Bien peu nombreux étaient ceux qui, à vingt ans, n’avaient pas encore fondé un foyer; dans le cas contraire, il ne pouvait s’agir que de garçons pauvres et qui n’avaient pas de métier.
jeune fille musulmane se mariait à un âge plus tendre que l’homme, en général à douze ou quatorze ans, à moins qu’elle n’ait été affligée de quelque tare, ou que sa famille n’ait eu «une odeur», c’est-à-dire qu’il se trouvait chez eux quelqu’un de «souillé» : on ne la demandait pas, alors, en mariage et elle restait «vieille fille».
Lorsqu’un garçon avançait en âge et qu’il était, par conséquent, apte à prendre femme, son père se concertait à son sujet avec sa mère. C’est à partir de ce moment qu’avaient lieu des «conciliabules» entre les personnes qui lui voulaient du bien, comme ses sœurs, ses tantes paternelles et maternelles et toutes ses parentes proches ; et, elles se concertaient quant à savoir quelle jeune fille pourrait bien lui convenir.
On s’efforçait d’obtenir des renseignements, auprès de ses voisins, au sujet de la jeune fille choisie. En général, celles qui se livraient à l’enquête matrimoniale prenaient langue avec la masseuse du bain maure et avec les vielles porteuses d’eau, c’est-à-dire qu’elles leur recommandaient de bien l’examiner. On cherchait ainsi à savoir si elle était de bonne famille et quel était son caractère : ses pieds étaient-ils «lourds», quand il s’agissait de monter à la terrasse ? était-elle jolie ? serait-elle une femme habile, sachant bien tenir son ménage ?
Lorsqu’elle habitait en ville, il fallait savoir si elle était soignée, intelligente, fine, éduquée, sachant coudre, cuisiner, tenir sa maison bien rangée et pratiquer la lessive ; parfois aussi, on recherchait une jeune fille sachant tisser, ou quelque autre chose conforme aux habitudes des citadins. Mais, s’il s’agissait d’une campagnarde, elle devait savoir moudre au moulin, tamiser le grain, bluter et rouler le couscous, travailler la laine, c’est-à-dire la laver, la carder, la peigner, la filer et la tisser. Elle devait également être capable de traire les vaches et, d’une façon générale, posséder toutes les qualités qui conviennent aux gens de la campagne.
La future épousée devait parler avec douceur, afin d’éviter les querelles. Ce qui intéressait le père du futur marié, c’était la qualité de sa belle-famille ainsi que la question financière, tandis que la mère s’inquiétait de sa beauté, de la longueur de sa chevelure, de son intelligence, de son habileté. Mais, la qualité la plus importante, aux yeux des gens de bonne famille, c’était une foi bien affermie. Voici, à ce sujet, un hadith du Prophète : «Qui prend fille pour sa foi, Dieu l’assiste. Qui la prend pour son bien, Dieu l’appauvrit. Qui la prend pour sa beauté, Dieu l’éprouve.» Les habitants de la campagne citaient souvent ce proverbe : «Ce qui est utile, c’est la foi et les mains ; que nous importe la beauté ?».
Lorsqu’on était, enfin, bien d’accord sur la future qui convenait, les parents du jeune homme envoyaient au domicile de ses parents une vieille femme, connue pour son éloquence. Elle s’arrangeait, en invoquant un prétexte quelconque, pour avoir accès à la maison et voir la jeune fille : en effet, c’était une habitude chez les jeunes filles, avant leur mariage, de se dérober à la vue des personnes étrangères qui pénétraient chez elles. On ne pouvait donc les voir que par surprise ou au bain. Ainsi, les filles étaient cachées, à partir de neuf ans et, seules les femmes de leur famille, ou leurs frères et leurs oncles paternels et maternels, avaient le droit de les voir, à l’exclusion de tout étranger.
Cette vieille femme, donc, après s’être introduite chez l’intéressée, commençait par faire l’éloge, devant la mère de la jeune fille, de ceux qui l’avaient envoyée et, tout en bavardant, elle lui disait en confidence : «La famille une Telle à l’intention de venir te demander ta fille une Telle. Ne les repousses pas. Il n’y a personne que tu puisses leur préférer et ils trouvent ta fille à leur goût». Et la mère de lui répondre : «Si ce sont là notre lot et notre destinée, que Dieu nous soit propice. Dis-leur que j’en parlerai à son père ; l’affaire dépend de lui». L’envoyée matrimoniale lui rétorquait alors : «Si tu te charges d’aplanir les choses, tout marchera bien.» Et la mère : «Adresse-toi à Dieu. Point de mariage sur terre qui n’ait été conclu dans les Cieux».
Ensuite la mère prévenait son mari. Si ce dernier acceptait, elle disait le lendemain à l’émissaire : «Vas dire aux hommes qu’ils pourront se rencontrer» ; mais, s’il refusait, sa réponse était : «Ma fille est encore trop jeune», ou «Elle est promise au fils de mon frère». Il était nécessaire de motiver le refus car la mère de la jeune fille savait bien que celle du garçon s’irriterait d’une réponse négative et pourrait, même, jeter un sort à la jeune fille, sort qui l’empêcherait de trouver, par la suite, un mari.
Une fois l’accord donné, le père du prétendant et celui de la jeune fille se rencontraient au café, accompagnés d’une personne de qualité. Ils prenaient place. Mais on ne parlait pas tout de suite de l’union projetée ; on s’entretenait, auparavant, de choses et d’autres. Enfin, celui qui les accompagnait, prenant la parole, disait au père de la future : «Monsieur Untel te demande la main de ta fille de bon lignage et de mérite personnel». Celui-ci, au cas où il acceptait, répondait : «Bénédiction et bienvenue». Sinon, il disait : «Elle est déjà promise», sans qu’on pût ensuite lui demander : «Et à qui donc ?», ou prétextait un autre motif dissuasif, tel que le trop jeune âge de sa fille et, donc, son inexpérience pour entretenir un ménage.
Mais, s’il avait consenti à la demande, tous deux ne manquaient pas de se réjouir. Le père de la future commençait alors à parler de l’éducation qu’elle avait reçue et à vanter ses vertus, pour montrer l’estime qu’il portait à sa fille et faire comprendre qu’il comptait sur sa future belle-famille pour continuer à l’entretenir et prendre bien soin d’elle, tout en poursuivant son éducation, car il la leur confiait à tout jamais. Sur ce, le père du garçon lui assurait qu’il accueillerait la jeune fille comme lui étant venue de Dieu Très-Haut, qu’elle devenait désormais sa propre fille et qu’elle serait confiée à ses soins.
A ce moment, le père devait faire connaître ce qui était dans les habitudes de sa fille, comme par exemple ses pèlerinages annuels auprès d’un marabout donné. Il devait également mentionner, avant la demande officielle, si elle avait quelque tare car, si on en cachait ou en niait l’existence, la dot devrait être restituée. Ceci s’appliquait en particulier à la petite vérole, qui pouvait causer la cécité de la jeune fille ou la défigurer.
Après que les deux familles se fussent ainsi mises d’accord, on fixait un jour déterminé pour la rencontre des «hommes», c’est-à-dire du père du futur et de celui père de la future mariée, accompagnés de leurs témoins. Le moment venu, on se rendait à l’endroit fixé, par exemple à la mosquée. Les deux intéressés venaient chacun avec un groupe de personnes, composé de leurs proches et de notabilités, comme par exemple les marabouts. Lorsqu’on était réuni, le représentant du garçon prenait la parole, le premier. S’adressant au représentant de la jeune fille, il disait par trois fois : «Au nom de Dieu, à Son Envoyé, bénédiction et salut». Puis la conversation suivante s’engageait : «Nous sommes venus pour te demander ta fille, de bon lignage et de mérite personnel. – Au nom de Dieu et par la religion de Son Envoyé, à certaines conditions, si tu les acceptes. – Demande ce que tu désires. – Je veux 50 (ou 60, ou 100) douros comme dot, un caraco de 20 douros, un haïk de soie valant 10 douros, des pantoufles brodées d’or et une ceinture de cuir valant 5 douros, un quintal de laine pour en faire, en particulier, des matelas».
A ce moment, Le père de la jeune fille énumérait encore les autres conditions. Il disait, en particulier, s’il entendait que sa fille habitee dans la même ville que lui, ou si elle pouvait fixer ailleurs sa résidence, et autres choses du même genre.
Le représentant du futur époux lui répondait en ces termes : «J’accepte ces conditions mais, ne pourrais-tu pas rabattre un peu de tes exigences quant au montant de la dot et quant aux autres conditions ? – C’est impossible, je ne vous demande que des choses raisonnables». C’est alors que les marabouts présents prenaient la parole, en disant au père de la promise : «Arrange-nous cela ; fais-lui quelques concessions, pour nous être agréable. Les rapports cordiaux, voilà qui est avantageux ; ce n’est pas sur la dot que l’on fonde un ménage». Le père de la jeune fille se laissait enfin fléchir : «Si je cède, c’est bien pour faire plaisir».
Après cela, chacun levait ses mains ouvertes devant soi, pour le prononcé de la Fatha et l’on récitait ces paroles : «Dieu bénisse ce mariage ; qu’il témoigne aux époux amour et miséricorde jusqu’au jour de la résurrection. Qu’il leur accorde une postérité vertueuse.» La Fatha récitée, le père du garçon se levait et baisait en premier lieu la tête du père de sa bru et, ensuite, celle des autres assistants. Comme il avait apporté de chez lui une cruche de citronnade, parfumée à la fleur d’oranger et à l’ambre, tous ceux qui se trouvaient à la mosquée en buvaient. A cet instant, avait lieu le h’lâl (mariage), c’est-à-dire la conclusion définitive du mariage des jeunes gens car, c’est à cet instant que le père du futur versait deux douros, afférents à la pose du petit henné, qu’on nomme «arrhes de prise de possession». Or, les conditions de la «légitimité» des accordailles sont l’échange de consentement et la dot.
On se séparait et chacun rentrait chez lui. Les deux pères informaient leurs familles respectives de ce qui s’était passé et les youyous retentissaient. Chez les parents de la fiancée, on préparait de la citronnade, que les voisins étaient invités à boire et qu’on envoyait aux proches parents.