Quand le jour fait place à la nuit et que la lueur de la lune et des étoiles remplace celle du soleil, les femmes algéroises animaient leurs longues soirées par des retrouvailles organisées au cours desquelles elles savouraient la présence d’une dame âgée en l’écoutant raconter avec un art que seules les vieilles personnes possèdent les histoire des prophètes ou des contes des rois ou des «djenounes» (pluriel de djin). Tout cela autour d’une «skimpla» (table basse) garnie de thé et de différentes gourmandises (fruit secs, «halaouet El-Tork», figues séchées, etc.)
Parfois, la veille du mercredi, vendredi ou dimanche, les jours dédiés aux fumigations, elles organisaient le mystérieux jeu de bouqala, censé leur prédire l’avenir.
Le mot «bouqala» désigne un vase d’argile en forme de coupe au pied large. Ce récipient constitue l’objet principal du jeu.
En effet, on apporte une bouqala qu’on remplit d’eau et dans laquelle on jette un bijou en argent (bague ou bracelet) dans le but d’y attirer un djin. Après quoi, on la fait passer aux femmes désireuses de participer au jeu afin que chacune d’elle y dépose sa fève marquée de façon spécifique à elle pour l’identifier lors du tirage au sort.
Enfin, on couvre la bouqala avec la « chéchia » d’une jeune fille dans laquelle on procède aux fumigations faites à base de benjoin, de henné, de quelques gouttes d’huile d’olive, des effilures de vêtement d’une femme sans mari et de petits bouts de bois prélevés de sept portes différentes, tout en prononçant à l’adresse du djin l’incantation que voici : «Nous t’avons fait des fumigations de benjoin, apportes-nous de bonnes nouvelles des cafés, nous t’avons fait des fumigations de henné, apporte-nous de bonnes nouvelles de Mazghana (ancien nom d’Alger), nous t’avons fait des fumigations avec les effilures de la femme sans mari, apporte-nous de bonnes nouvelles de chez les hommes, nous t’avons fait des fumigations de l’huile, apporte-nous de bonnes nouvelles de chaque habitation, nous t’avons fait des fumigations avec des bouts de bois, apporte-nous de bonnes nouvelles de chez les pèlerins». Dès lors, on dépose la bouqala par terre et une femme commence à réciter les bouqalates (pluriel de bouqala), elles consistent en de petits poèmes porteurs de bons ou de mauvais présages.
Avant chaque récitation de bouqala, chaque assistante noue son mouchoir ou son foulard ou même sa ceinture matérialisant ainsi sa pensée pour l’absent auquel elle dédie la bouqala et écoute attentivement la récitation de celle-ci. Sitôt finie, une jeune fille vierge retire au hasard une fève du récipient et désigne de cette façon la femme concernée par la bouqala et toutes les autres interprètent, tour à tour, le présage tel qu’elle l’entendent. Puis, on remet la fève dans le récipient et on répète l’opération plusieurs fois.
Le jeu fini, l’eau de la bouqala est jetée soit sur la terrasse soit dans la rue, au milieu de la nuit quand il n’y a plus de circulation.
Si une femme veut voir dans le rêve si un vœu à elle doit se réaliser, elle met une gorgée de cette eau dans la bouche qu’elle crache après la formulation intérieure de son vœu et elle devra voir des signes pendant son sommeil lui révélant si oui ou non il sera exaucé. Si par exemple, elle désire se marier, elle entendra des youyous dans son rêve.
Ce jeu de société existe encore de nos jours mais sous une forme beaucoup moins protocolaire. Il reste toujours apprécié pour son côté mystérieux et poétique.
Un exemple de bouqala : «J’ai poussé des deux mains la porte du jardin, la fleur d’oranger est venue m’ouvrir, la rose m’a embrassée, quant au noble jasmin, il n’a pas voulu se séparer de moi, que soit exalté le nom de celui qui a fait sa noblesse et sa gloire, il est éclatant de blancheur et ses cinq doigts le mettent à l’abri de tous ses ennemis.»