Après que les deux pères (de la fille et du garçon) furent d’accord sur les conditions et le montant de la dot, on célébrait l’union en grande pompe pour informer le grand entourage de l’heureux événement.
Mais s’il arrivait que le mari ne put pas encore emmener sa jeune femme à sa domicile, par exemple parce qu’il n’avait pas encore l’argent nécessaire, ou parce qu’il voulait attendre l’été pour se marier après la moisson, comme c’était autrefois l’habitude, on procédait à la pose du henné d’accordailles, ou petit henné, ou encore henné de prise de possession, car, c’est par lui que le mari prenait possession de sa femme.
La coutume voulait, en effet, que, une fois le petit henné posé par quelqu’un, les personnes qui auraient l’intention de demander la jeune fille perdent tout espoir. Et si, après cette pose, elle mourait, le jeune homme hériterait d’elle, et vice versa, si c’était lui qui mourait, quand bien même la cérémonie de fath’a chez le cadi n’aurait pas eu lieu. En un mot, après la pose du petit henné, la jeune fille était considérée comme femme mariée.
Au jour fixé donc, sept ou huit femmes, sœurs ou proches parentes du jeune homme, ainsi que sa mère, se rendaient chez la fiancée pour la pose du henné durant la soirée. Une servante du bain maure les accompagnait, portant une corbeille. Celle-ci contenait un kilogramme de henné, quantité amplement suffisante, un foulard en soie, un petit miroir, une paire de souliers vernis noirs et deux grandes bougies roses, l’une plutôt pâle, l’autre d’un rouge plus foncé, que l’on allumait durant la cérémonie, une demi-douzaine d’œufs, un kilogramme de sucre et un douro de bon aloi. Le sucre est un porte bonheur, le foulard et les chaussures sont des cadeaux ; les œufs et le douro étaient employés durant la cérémonie ; il en était de même des bougies.
Il est à noter que, durant tout le temps où la jeune fille aura à attendre que son seigneur et maître la mène au domicile conjugal, celui-ci devra lui faire de nouveau dons à l’occasion des grandes fêtes (moussems) à savoir du henné, de la viande, des pâtisseries, un foulard, et la valeur d’une entrée au bain maure. A toutes les fêtes religieuses un cadeau spécial devait être envoyé.
Ainsi pour l’Aïd El-Kebir, c’était de la viande, du henné et un foulard. Pour le Mouloud, c’étaient des cierges, du beurre salé, du miel, du henné et un foulard. Pour l’Aïd Eç-Ceghir, le futur envoyait des gâteaux, et, si la pose du henné avait lieu, un foulard obligatoirement. Rien cependant n’était à envoyer à l’occasion de l’Achoura.
Lorsque les femmes, parentes du jeune homme, entraient dans la maison de la fiancée, leur entrée était accompagnée de youyous. Les parentes de la jeune fille les accueillaient également avec des youyous. Quant à cette dernière, elle était confinée seule dans sa chambre, car, durant cette nuit, personne ne devait la voir. On avait beau user de mille ruses pour essaye de la voir, elle restait invisible.
Toutes les femmes jouaient de derboûka. On chantait, on servait le couscous et on le mangeait. Après cela, deux «petites» se levaient, c’est-à-dire deux jeunes femmes mariées depuis mois d’un an. Chacune portant une bougie, elles se rendaient vers la pièce où se trouvait la fiancée. Elles la plaçaient entre elle et l'amenaient dans la pièce où se tenaient les autres femmes. Lorsqu’elle sortait de sa chambre, elle portait sur son visage un foulard en soie rose qui lui couvrait entièrement la tête. On la faisait asseoir sur quatre coussins brodés d’or.
La corbeille était alors vidée de tout ce qu’elle contenait. Ensuite une des deux jeunes femmes qui ont amené la fiancée se levait et se saisissait du miroir. Tenant dans une main le miroir avec une des bougies, elle restait debout, près de la fiancée et gardait cette position jusqu’à la fin de la pose du henné. L’autre jeune femme se saisissait de la seconde bougie qu’elle tenait à la main, sans miroir ; elle s’asseyait par terre à côté de la fiancée.
C’était la sage femme qui était chargée de la pose du henné. Celui-ci était mis sur un plat avec deux œufs. Ensuite elle soulève le pied droit de la fiancée pour écraser les œufs, mais c’était la fiancée elle-même qui devait exécuter le geste de les casser de son pied droit. Ceci fait, on ajoutait de l’eau au henné afin de le pétrir le douro était placé dans la paume de la main de la fiancée où on le collait avec un peu de henné. Il devait rester dans sa main jusqu’au lendemain matin. C’était un talisman qui devait assurer son bonheur au domicile conjugal. La femme qui a été chargée de poser le henné récitait, la première, le teqdâm, lequel était suivi des youyous de toute l’assistance. Ensuite, c’était aux autres femme qu’il appartenait de réciter le teqdâm, en honneur de la fiancée. Enfin, celles qui l’on amenée s’emparaient de sa personne et la ramenaient dans sa chambre. A ce moment, la fiancée sanglotait et sa mère pleurait.
Lorsque la fiancée avait ainsi quitté les coussins où elle était assise, on y installait un petit garçon auquel on posait aussi du henné. C’était, dit-on, afin qu’elle accouche d’un garçon, dès sa première grossesse. Parfois aussi, on plaçait ce petit garçon sur les genoux de la jeune fille et on lui posait alors le henné.
Enfin, on posait aussi du henné aux petites filles, on chantait le teqdâm, on jouait de la derboûka. C’était une règle à observer à l’occasion de la cérémonie que les femmes qui y prenaient part ne s’en allèrent qu’à l’aube. Il fallait aussi laisser les bougies brûler jusqu’à ce qu’elles s’éteignent d’elles-mêmes.
L’union ainsi officialisée, une autre étape devait suivre avant la consommation du mariage, le représentant (wali) du mari et celui de la femme se rendaient chez le cadi, en compagnie de parents et d’amis. Quand ils arrivaient au tribunal, le cadi leu souhaitait la bienvenue et le dialogue suivant s’engageait.
«Nous sommes venus pour la fath’a – Dieu embellisse (la vie des époux). Qui donc représente le mari et qui la femme ? – Moi, je suis le représentant de la fille. – Et moi, celui du garçon. – Quel âge a le fiancé ? quelle est sa profession ? et la fille, quel âge a-t-elle ? a-t-elle déjà été mariée ? faites-moi également connaître les conditions du mariage, telles que vous les avez arrêtées». Le représentant de la jeune fille énonçait alors ce qu’il avait touché de la dot et des autres prestations : «J’a reçu, disait-il, ceci et cela». Le cadi interrogeait alors le père du fiancé en lui demandant s’il était bien d’accord ; l’autre répondait : «oui». Le témoin instrumentaire officiel (adel) prenait notre par écrit de ces conditions, puis disait au père de la jeune fille : «Dis : «Au non de Dieu. Salut et bénédiction pour l’Envoyé de Dieu», ceci par trois fois. «Je vous requiers de témoigner contre moi-même que je donne en mariage ma fille à un tel, fils d’un tel, moyennant telle dot et selon telles et tells conditions». Puis il invitait le père du fiancé à répéter une formule correspondant à celle prononcée par le père de la jeune fille.
Ensuite, s’adressant au cadi, l’adel lui disait : «Monsieur, le moment de la fath’a est arrivé». Tous ceux qui se trouvaient dans le répertoire levaient leurs mains et le cadi prononçait la fath’a requise par la religion à cette occasion ; après avoir prononcé les mots : «Au nom de Dieu qu’Il soit loué et que Son Envoyé soit béni et sauvé», il adressait à Dieu cette prière : «Que Dieu embellisse vos relations, qu’Il vous donne un héritier semblable à vous et que jamais le démon ne puisse s’introduire entre vous, etc.». Il passait ses mains sur sa figure en disant : «Louange à Dieu, Maître des mondes», les assistants répondaient : «Amen», les mains levées pour la fâth’a.
A ce moment, l’huissier apportait de la citronnade pour que tout le monde se rafraîchisse le cadi et odouls buvaient les premiers. Puis l’huissier aspergeait les personnes présentes d’eau de fleur d’oranger. Ensuite chacun s’en allait de son côté.
Un autre jour était fixé par la suite pour aller chercher la mariée du domicile de son père. Celle-ci devait quitter sa famille et intégrer son nouveau foyer. Une nouvelle vie l’attendait désormais.